23 février 2023
Mathilde n'en peut plus. Cela fait trois jours qu'elle «roumegue» dans sa tête. Sa petite fille de treize ans, Julie, est venue passer quelques jours de vacances. Tous ceux qu'elle aime fréquenter aux alentours ont été prévenus. Et d'abord Sylvain, le petit fils de ses voisins et amis qui lui aussi est en visite chez ses grands parents. Avec Julie ils se connaissent depuis toujours et ils sont très proches.
Et depuis trois jours qu'elle est là c'est l'enfer; mademoiselle ne décroche pas de son portable : elle suit minutez par minute son compte Facebook où elle a cinq cents amis (on doit dire followers). Elle doit impérativement profiter de ses vacances pour dépasser sa copine Muriel qui en a huit cents. Pas le temps de revoir Sylvain ni les autres pour des occupations «débiles». Pas le temps de manger ni de sortir de sa chambre… Mathilde a téléphoné aux parents de la petite pour les avertir qu'après avoir essayé la douceur, sans résultat, elle allait passer à d'autres méthodes. Après avoir reçu leur accord pour trouver une solution à ce problème qu'ils n'avaient pas su régler, Mathilde est passée à l'action. Elle a invité Sylvain pour l'après midi même. Pour le reste des quelques jours avant le départ de Julie elle avait établit un programme d'activités sans une minute de répit : séance d'accrobranche en forêt, atelier de bataille à l'épée sur le site d'un château fort avec visite en costumes d'époque, excursion en péniche… Et au moment de monter dans la voiture, le portable de Julie avait mystérieusement disparu. Il a fallu partir sans, car on ne devait pas rater le rendez vous. Les larmes de la petite se sont rapidement taries. Elle n'a plus pensé à son portable qu'elle a retrouvé au moment de rentrer chez elle.
Facebook, Myspace, Twitter, cinq cents millions d'amis… C'était l'accroche de couverture d'un magazine dans le vent, il y a quelques mois. Démarche narcissique où l'on ne parle que de soi, les réseaux sociaux entretiennent le leurre d'avoir facilement jusqu'à plus de mille amis d'un seul clic de souris. Une grave conséquence de cette explosion est un affadissement de la notion d'amitié. Etre ami avec quelqu'un suppose un choix entre beaucoup d'appelés et peu d'élus. Il faut passer du temps avec cet autre, avoir des affinités, des activités en commun. L'illusion de vouloir se faire aimer de tout le monde a pour conséquence des relations assez superficielles pour qu'aucun conflit ne puisse prendre forme. Or un véritable ami acceptera que vous affirmiez une opinion différente voire opposée à la vôtre. Enfin, en cas de coup dur un véritable ami vous soutiendra. C'est ainsi qu'une lycéenne s'est suicidée après avoir annoncé son intention sur facebook. Aucun de ses «amis» n'a réagi. Britannique, elle avait 1 048 amis sur Facebook. Le jour de Noël elle leur annonce son intention de se donner la mort. Parmi eux, 148 ont répondu mais aucun n'a donné l'alerte et elle est morte comme elle l'avait annoncé.
Nous vivons le paradoxe d'avoir de plus en plus de moyens de communiquer alors que nous prêtons de moins en moins d'attention à l'autre et que nous souffrons de n'être écouté (aimé) par personne voire de se sentir seul.
L'amitié – comme l'amour – nécessite du temps, des prises de risques, un engagement sur le long terme. Avec forcément des déceptions et de la souffrance lorsque ça ne marche pas. C'est le prix à payer pour construire une relation solide, faite pour durer.