Il y a une semaine, à 11h du matin, Mathilde a reçu un coup de fil de Marguerite, sa voisine et amie de 91 ans qui fut la secrétaire de son défunt mari pendant plus de quarante ans.
Depuis quelques temps déjà elle perd la mémoire et elle appelle régulièrement Mathilde pour savoir si elle n'aurait pas pris (??) telle ou telle chose. À quoi Mathilde répond non, en précisant qu'elle ne se permettrait pas de le faire.
Cette fois il s'agissait d’un collier ras-de-cou en or, cadeau de son époux aujourd'hui disparu, d'une valeur certaine mais surtout inestimable et irremplaçable affectivement.
Là- dessus Marguerite raconte que la veille, comme elle se croyait samedi (c'était un mercredi), elle était partie pour aller au marché de plein vent du centre ville. Après un passage à la supérette, elle était rentrée chez elle vers 13h30. Juste avant d'arriver à sa porte, une jeune femme, qui marchait derrière elle, l'avait attrapée par le cou en disant : «Laissez-moi vous embrasser. Vous me rappelez ma grand-mère que j'aimais tant et qui vient de mourir». Puis, cette personne, qu'elle avait jugée jeune au son de sa voix, était rapidement repartie d'où elle venait. Il faut préciser que Marguerite portait toujours une chaîne avec une médaille et ne mettait ce collier que pour des occasions spéciales. Cette fois c'était le dimanche d'avant, où elle était invitée chez sa cousine et, elle ne l'avait pas enlevé. Mais elle portait toujours par dessus une écharpe qui empêchait de voir ce qu'elle avait autour du cou. «Par discrétion» précisait-elle. Ce qui permet de déduire que la voleuse était bien informée et qu'elle a su choisir entre la chaîne de pacotille et le collier de valeur. À cette heure de la journée, il n'y avait personne dans la rue sauf, sur le trottoir d'en face, quelqu'un qui habite la même maison que Marguerite et qui, juste après, a traversé pour la saluer. Ce qu'elle ne fait jamais.
Mathilde a dit à Marguerite que, d'après elle, elle n'avait pas perdu son collier mais qu'elle se l'était fait voler par cette femme et qu'il fallait aller déposer plainte. Elles y sont allées à 14h et l'attente a commencé. Il y avait déjà trois personnes avant elles, mais d'autres qui arrivaient étaient reçues sans attendre. Marguerite affirmait régulièrement à la cantonade qu'elle était déjà venue déposer plainte vingt ans plus tôt et que rien n'avait changé. Il fallait toujours attendre très longtemps. Elle s'excusait aussi toutes les cinq minutes auprès de Mathilde de lui faire perdre son temps. Trois heures plus tard on les recevait très aimablement en précisant qu'il n'y aurait certainement aucune suite et qu'ils n'avaient pas le temps d'aller interroger la voisine. L'affaire était trop banale. Ce qui l'est moins, c'est l'état d'abattement et de panique (insomnies, cauchemars) dans lequel cette mésaventure a plongé Marguerite. Mais qui a le temps de prendre en compte les états d'âme d'une vieille dame ?