Association des éditions Cocagne MAISON DE LA MÉMOIRE & DES ÉCRITURES

Fier d'être paysan

10 octobre 2020 |  

Plusieurs fois par an, notre amie Mathilde doit se rendre à la capitale régionale. Elle le fait dans sa modeste et vieille voiture et, pour s’orienter dans la grande ville, il lui arrive de ralentir, d'hésiter sur la direction à prendre, au grand dam de certains conducteurs. C'est ainsi que, du haut de son 4×4, un citadin lui a lancé : «Où tu vas, toi, avec ta moissonneuse batteuse ?» alors que c'était plutôt son véhicule à lui, carré et deux fois plus haut, qui évoquait davantage cet engin agricole. Elle n'avait même pas pris la peine de répondre. Mais elle vient de connaître le pire. On l'a traitée de «bouseuse». Variante au féminin de péquenot, paysan et autre. Et cette fois-ci elle a rétorqué : «Oui Monsieur, et j'en suis fière !».

En réalité, Mathilde n'a jamais été agricultrice, mais ses deux parents viennent de la campagne et lui ont appris la fierté de leur condition. D'ailleurs, si on interrogeait chacun de ceux qui ont si facilement ce genre d'insultes à la bouche, on trouverait que leur parents, ou leurs grands parents étaient des gens de la terre. Et que ce sont des choix économiques qui ont poussé leurs enfants à devenir citadins, avec un  revenu régulier et une retraite assurée.

Tous ceux qui travaillent en ville, dans des professions de service, ne survivraient pas sans l'activité des «bouseux». Car ce sont bien ceux-là, dont faisaient partie leurs ancêtres, qu'ils renient et qu'ils méprisent aujourd'hui qui, par leur travail peu rentable et difficile, produisent ce qu’ils mangent chaque jour. Comme toujours, l'arrogance se double ici de stupidité. Un texte de la fin du dix-huitième siècle*, au moment de la Révolution, argumente que les vrais nobles ne sont pas ceux qu'on croit mais bien ceux qui, en travaillant la terre, de père en fils depuis toujours, permettent à tous de manger à leur faim.  

Cela rappelle la réflexion d'un monsieur très âgé, ancien agriculteur aujourd'hui disparu qui, se désolant de voir toutes ces surfaces goudronnées dans la banlieue des villes et sur les autoroutes, s'exclamait : «Toute cette bonne terre gâchée et rendue stérile alors qu'elle pourrait nourrir tant d'affamés !». 

Gardons la fierté de nos origines et respectons ceux qui ont le courage de poursuivre ce métier, à la fois ingrat et magnifique.

*œuvres complètes d’Olympe de Gouges tome 4  page 63 chez éditions Cocagne