7 septembre 2023 | Le Billet de Mathilde
Je m'appelle René. J'habite dans une petite chambre où il n'y a de la place que pour le petit lit, mon fauteuil roulant et la télé.
Il y a trois ans, j'ai fait plusieurs AVC (trois, je crois) et ils ont étiqueté mon état «démence sénile». Pourtant je ne m'y retrouve pas. Il paraît que lorsqu'on a cette maladie on ne reconnaît plus personne. J'ai une épouse, trois filles et un garçon. Je les aime toujours très fort et je les identifie très bien. Nous sommes une famille soudée et cela demeure ainsi. On prétend aussi qu'on oublie tout. Je n'oublie rien. Qu'on ne peut plus parler. C'est vrai que c'est devenu difficile, mais par contre je comprend tout de qu'on dit autour de moi, même ce qu'il ne faudrait pas que j'entende. Parfois je réponds systématiquement «oui» aux questions qu'on me pose. Parce que ce sont toujours les mêmes et que si je disais «non» il faudrait donner des explications, et c'est fatigant. Mes filles ont dû trouver une remplaçante à mon assistante lorsqu'elle est tombée malade.
La première fois que j'ai rencontrée Mathilde, je l'ai trouvée drôle, pas comme les autres. Certainement pas le genre qui m'aurait séduit avant (il paraît que j'étais un chaud lapin). Elle me souriait et quand j'ai ouvert les yeux (je les avais gardés mi-clos pour pouvoir mieux l'observer) elle s'est exclamée : «Ça alors ! Ces grands yeux bleus ! Ce sont les même que ceux de mon chat. Vous savez je ne connais rien aux vieux messieurs, ni à la maladie. Je ne sais pas comment faire mais, par contre, je connais bien les chats. Je leur parle en paroles, en pensées, en câlins, en caresses. C'est ainsi que je ferai avec vous, avec votre permission. Vous serez mon nouveau chat». Je lui ai répondu avec un grand sourire : «Oui, d'accord».
Depuis Mathilde passe trois après-midi par semaine avec moi. Souvent nous ne disons rien. Je me tourne vers elle, un peu inquiet. Elle accueille mon regard et avec un grand sourire elle me dit : «Oui, oui». Et elle me prend la main.
Il m'arrive d'en avoir assez d'être enfermé dans ce corps que je ne reconnais pas et je crie : «Merde, merde, merde». Alors Mathilde dit : «Plus fort : Merde, merde, merde». Il arrive qu'on ouvre la porte pour demander ce qu'il se passe. Mathilde répond : «Ce n'est rien. C'est un jeu.» Et nous rions.