8 février 2024 | Le Billet de Mathilde
J'accompagne régulièrement Mathilde faire du sport en salle. Pour moi, rééducation pour le coeur : maigrir, se muscler et retrouver de l'énergie. Pour elle, soulager une tendinite et tonifier le dos.
Le responsable du lieu est très compétent et ses recommandations sont toujours justes et efficaces. Il n'apprécie ni les «touristes», ni les tire-au-flancs» et il le leur dit sans mâcher ses mots.
Et puis, il y a quelques mois, une chatte au caractère bien trempé – qui, paradoxalement, répondait au doux nom de Câline – a débarqué et a jeté son dévolu sur lui pour une relation profonde, réciproque, exclusive et rayonnante. On avait l'impression que c'était elle qui était devenue la patronne. Lorsqu'il était en cours particulier elle venait s'asseoir et se mettait à pousser des hurlements de protestation, estimant qu'il ferait mieux de s'occuper d'elle. Mathilde était devenue fan, inconditionnellement.
Ce matin-là, en arrivant pour une séance de rééducation, elle lui avait apporté une balle.
«Où est-elle ?
– Elle s'est fait écraser ce matin. Je l'ai trouvée en arrivant».
Sidérée, Mathilde l'a fait répéter et n'a pas pu retenir ses larmes. Plus tard elle a proposé de s'occuper de l'enterrer «dans un très bel endroit». Interrogé au téléphone son ami, propriétaire du lieu, a immédiatement accepté. Mathilde a donc passé son seul jour de congé de la semaine à cette opération à la fois pénible et nécessaire. Dans quelques semaines, à la bonne lune, un camélia sera planté là où elle est enterrée.
Quelqu'un a dit, à notre habituelle réunion chez Mathilde : «Tout ça pour un chat !». J'avoue que moi aussi je l'ai pensé.
«Quand on est attaché, bêtes ou gens, a précisé Mathilde, la séparation est douloureuse et on pleure. C'est physiologique et humain. La force et le courage n'ont rien à voir avec l'insensibilité. On s'autorise au chagrin et en même temps on affronte l'épreuve. D'autre part, lorsqu'on s'investit dans une belle relation, on signe un contrat envers soi-même où on accepte l'échéance d'être malheureux un jour indéterminé qu'on espère le plus lointain possible. Avec un animal c'est obligatoire puisqu'il vivra moins longtemps que nous. Mais pendant tout le temps où il est là, à chaque instant, pour nous témoigner de son attachement, il nous rappelle de vivre à fond le moment présent, d'être pleinement heureux ici et maintenant, sans remettre à demain. Le passé n'existe plus. L'avenir est incertain. Seul existe le présent (qui signifie également cadeau). Merci Câline de nous avoir rappelé cette leçon. Tu resteras dans le coeur de ceux qui t'ont aimée».