Association des éditions Cocagne MAISON DE LA MÉMOIRE & DES ÉCRITURES

Biographie de Félix-Marcel Castan (1920 – 2001)

Né en 1920 à Labastide-Murat (Lot)
Écrivain bilingue (occitan / français)

Directeur du Carrefour d’Occitanie, fédérant cinq structures-laboratoires :

  • Festival – Forum d’Occitanie (théâtre)
  • Centre International de Synthèse du Baroque
  • Grands-Jours de la Femme – Olympe de Gouges
  • Montauban-Caméra
  • Mòstra del Larzac, Centre d'art expérimental
  • Éditions Cocagne

Deux publications périodiques :

  • Mòstra tribune de la décentralisation culturelle
  • Baroque revue internationale

Deux colloques :

  • Assises de la Décentralisation Nationale (A D N) patronnées par le Ministre de la Culture
  • Forum des Identités communales capitale/ville/village

«La pensée occitane a pour fonction d'intervenir à tous les niveaux du chantier culturel, de nouer des solidarités et dynamiser la création dans toutes les disciplines, d'affirmer l'unité irréductible d'un pôle décentralisateur en France».

Formation

Études secondaires à Moissac et Montauban
Khagne Paris (Louis-le-Grand)

 

Rapport à la langue occitane

  • enfance en langue française (mère professeur de français) ;
  • l’occitan est très présent à Moissac et chez ses grands-parents, à Escatalens (82) et à Labastide-Murat (46) ;
  • son père (ingénieur TPE) parle exclusivement en occitan à sa propre mère ;
  • vers 12 ans il décide de parler occitan à sa grand-mère, mais attendra 12 ans de plus pour parler occitan à son père ;
  • assiste aux spectacles de Cayrou dont il lit les livres vers 12 – 15 ans.

Rapport à la littérature occitane

«En khagne, je m’interrogeais sur la continuité de la littérature française, d’une tradition, de ses variations, bref, sur l’identité française. Je voulais partir en Amérique pour observer d’un point de vue extérieur cette identité difficilement saisissable de l’intérieur. La maladie me ramena dans mon pays, autre distanciation.
J’étais coupé de la vie culturelle centrale, et je perçus le dysfonctionnement de la nation française, qui n’assurait pas à tous ses citoyens la participation à la vie culturelle.

Le hasard me fit découvrir Cubaynes, Perbosc, une deuxième littérature, que je reçus comme une libération. Entre la nécessité d’une Décentralisation et la Renaissance d’une autre culture, d’une identité antithétique, le lien me parut évident : le mal et son remède.

Je devins ouvrier agricole (1942 – 1944) pour perfectionner ma pratique de la langue occitane, sans intention de l’écrire.

Je me mis à écrire en 1943, sur les instances d’André-J. Boussac, d’Ismaël Girard et René Nelli.

L'écriture occitane fut comme l'ouverture à une langue plus autonome comme une contestation des perspectives de la littérature française contemporaine ; comme l'accès à une civilisation paradoxalement plus complète, porteuse d'une philosophie plus moderne (un numéro spécial des Cahiers du Sud en 1943, Le génie d'Òc et l'homme méditerranéen, dirigé par René Nelli et Joë Bousquet, avait aidé à cette conversion). En 1947 Ismaël Girard me chargea de la rédaction d'Oc (jusqu'en 1955). De 1950 à 1955, j'ai participé à la direction de l'IEO et à sa structuration, avec Ismaël Girard et Robert Lafont. J'ai démissionné de ces fonctions en 1955, lorsqu'une orientation «économiste» a été adoptée par l'Assemblée Générale, à laquelle je n'avais pu assister. Je me suis alors consacré à une action culturelle globale, au service de l'entreprise occitane».

I – Repères biographiques

En 1937, derrière les épais murs gris du Lycée Louis-le-Grand, qui nous séparaient à Paris des bruits et des fureurs d'un siècle excessif pour le meilleur et pour le pire, j'ai commencé à me poser de premières questions sur le sens et les fins du devenir culturel. Je lisais Spinoza, le philosophe de la totalité. J'avais deux correspondants : chez l'un je trouvais les livres de Louis de Broglie et les théoriciens de la nouvelle physique ; chez l'autre je m'initiais aux dramatiques incertitudes de l'Europe.

C'est de là que date, si ma mémoire ne me trompe, une « quête » intellectuelle autonome. J'étais moins préoccupé de tel ou tel système que de la marche des choses de l'esprit, de leur enchevêtrement, du flux créateur, du fleuve tour à tour agité ou tranquille emportant les hommes et les idées, les oeuvres et les opinions, dans un miroitement qui me semblait seul vrai, seul historique. Le Tout en mouvement prévalait, à mes yeux, sur l'événement, sur l'idée, sur l'acteur et le groupe, non pour les nier, mais pour les exalter dans leur signification critique. D'instinct, je suis resté fidèle à cette orientation, à cette curiosité centrale.

Je recherchais l'axe d'une culture, de son évolution à travers les siècles, le sens de la tradition française dont j'étais nourri, qui, dans sa diversité, manifestait quelque unité, une unité dont j'avais l'intuition, mais non les moyens conceptuels, la capacité d'analyse qui auraient pu la définir… Je supposais que ma difficulté venait de ce que j'étais trop impliqué et que je manquais de recul pour embrasser convenablement son passé et son présent. J'avais remarqué à la Sorbonne des annonces, des appels à candidatures pour des lecteurs de français aux Etats-Unis, et je me préparais à l'exil afin d'acquérir, dans la distance, un regard globalisant qui me permettrait d'atteindre à une vue rationnelle. Mais les dieux en décidèrent autrement : une longue maladie me renvoya vers d'autres cieux, un éloignement qui était aussi une vraie profondeur. – C'est dans mon village natal du Lot que s'est prolongée ma réflexion sur l'identité d'une culture et ses pulsions secrètes. Le retour dans le Causse quercynois devint mon chemin de Damas.

Ici les choses ne se passèrent pas comme prévu. J'eus deux révélations-chocs :

  1. celui qui n'est pas à Paris n'a aucune chance de participer activement à la vie intellectuelle de la nation, il est un citoyen mineur.
  2. une seconde littérature existe en France, la littérature occitane que je découvris par hasard, laquelle est capable de susciter des pôles intellectuels décentralisés, qui engagent le dialogue avec Paris et les capitales françaises ou étrangères, sur un pied d'égalité.

Pour résoudre le problème du Centralisme, grande infirmité de la nation républicaine, une littérature de haut niveau et d'esprit très moderne offrait ses services. Il fallait seulement retrouver le fil de cette culture séculaire : elle commence avec l'art roman et les Troubadours ; elle rétablit l'ordre national au XVIe siècle avec Henri IV, mais aussi avec Montaigne, du Bartas et une puissante créativité baroque qu'on veut ignorer ; ses représentants les plus remarquables à Montauban, furent un surprenant poète occitan, Auger Galhard, et un poète épique français, Jean de Scorbiac, auteur d'une grandiose Christiade.

Je fus rapidement fasciné par les auteurs d'Oc contemporains… Pensant qu'un grand défi était lancé pour la bipolarisation culturelle de la France, j'ai cru qu'il valait la peine de s'y consacrer : il fallait sauver la langue d Oc, et si, par malheur, on échouait, on n'aurait pas pour autant perdu son temps et son âme, car l'action serait porteuse d'enseignements précieux pour l'avenir de la civilisation, dans son essentielle complexité.

Sur ce pari j'ai organisé mes actions.

La question à laquelle je ne savais pas répondre à dix-sept ans a trouvé sa solution par comparaison des deux traditions, française et occitane, si dissemblables, mais donnant du monde des visions complémentaires. La pensée française est fondée en général sur une

philosophie de l'Un, avec le danger d'exclusion qu'elle comporte. La conscience occitane repose sur une philosophie du multiple et de l'accord des contraires. L'étude des deux traditions m'a fait conclure que la culture occitane s'était toujours constituée en contrepoint critique d'une culture dominante :

  1. au temps où le système féodal achève de prendre possession de l'Occident, l'Eglise occitane, en cette faille du système, cette oasis paradoxale que va devenir l'Occitanie, oppose à la morale du guerrier, de la guerre chevaleresque, une contre-idéologie : la Paix de Dieu et la vision en Dieu de l'art roman, ou même la Croisade en Terre Sainte. Cette idéologie contredit, en fait, l'idéologie propre à l'ordre féodal, la Trifonctionnalité, soutenue ailleurs par l'Eglise et théorisée dans la France du Nord.
  2. au XIIe siècle, l'Amour et la Poésie aristocratiques des Troubadours s'émancipent, s'opposent directement au magistère de l'Eglise, à sa culture de l'au-delà et à la tradition latine : les Troubadours laïcisent la culture… Les philosophies des Universités françaises naissantes resteront, quant à elles, intérieures à la foi.
  3. puis la bourgeoisie institue de nouvelles références, les modes et contraintes du travail social, sous la protection du Droit, la cohabitation dans les nouvelles bastides, des préoccupations qu'ignoraient les siècles antérieurs : la propriété, le commerce, les échanges et les disciplines de la production ne pouvaient s'accommoder ni des normes de Rome ni des inspirations du chant courtois. Elle tentait d'inventer d'autres règles, en s'efforçant de conserver les anciennes vertus, et l'ancien Gai savoir.
  4. au printemps des nations baroques (XVIe – XVIIe siècles), l'Occitanie pose, dans le sillage des armées d'Henri IV, le principe d'une nation plurielle, démocratique et pacifique, au service de ses villes, coeurs battants d'une culture bien incarnée dans la vie du peuple travailleur. Richelieu et Louis XIV ne l'entendaient pas de cette oreille : la loi absolutiste renvoya cet idéal aux calendes de notre XXIe siècle.
  5. le XVIIIe siècle français n'a produit qu'une piètre poésie : en face des grands prosateurs des Lumières, la poésie d'Oc a fonction compensatoire. Contre le code, la langue.
  6. le Félibrige s'érige au XIXe, pour contester et combattre le Centralisme le plus agressif du monde. La culture occitane retrouve une identité : la dialectique prend ici une importance structurelle, que la conscience populaire ne légitime guère, en dépit des fêtes où se perd l'énergie des écrivains.

Nous ne pouvons ignorer la manière dont en Occitanie on a conçu successivement la Paix, l'Amour, le Droit, au sein de la première civilisation de l'Europe. On doit conserver les valeurs qui sont nées, par la suite, des concepts de ville, de langue et de Décentralisation, et permettent de conceptualiser une nation plurielle, en dépit du poids grandissant de l'Etat centraliste… Mais le XXe siècle a connu une situation nouvelle : il s'agit, cette fois, d'une opposition entre deux visions de la fonction culturelle, à l'intérieur du champ philosophique. Un débat d'idées fondamental.

Fruit de l'unitarisme et du centralisme fonctionnel de l'Etat, une philosophie individualiste a envahi la vie culturelle française, dominée par une capitale exclusive… L'individualisme exacerbé et ses drames ont alimenté des recherches de langage, une aventure littéraire et interdisciplinaire sans équivalent dans le monde, des inventions formelles constitutives de la modernité. Les feux d'artifice parisiens ont fécondé la créativité des capitales d'Europe et des divers continents. Les acquis sont irréversibles. – Spectatrice, l'Occitanie a trouvé en elle assez de ressources, pour allumer un contre-feu littéraire, et finalement interdisciplinaire. Elle n'avait pas d'autre alternative, sinon disparaître définitivement.

C'est à la compréhension du phénomène que j'ai consacré mes efforts, et à la vérification expérimentale de l'hypothèse, au travers des actions entreprises. Montauban m'a fourni un terrain de choix. Au long des années 40 et 50, je fus membre d'un groupe dominé par la haute personnalité du peintre Lucien Andrieu (1875-1955), qui comprenait deux poètes, Jean Malrieu (1915-1976), Pierre Albouy (1920-1974), un peintre, Marcelle Dulaut (1921-1978), et des comparses de passage, le peintre Robert Lapoujade (1921-1993), les poètes Georges Herment (1912-1992) et Henri Dufor (1920-1987), Paulette et Albert Ferlin, Jeanne Castan, Odette Penot… La cohérence des positions du groupe, au-delà de la diversité des individualités, n'est pas douteuse : un fond d'optimisme concernant l'avenir de la civilisation nous tenait attentifs à toutes les expressions de la modernité. Aucune fascination particulière pour la concentration parisienne : nous étions sûrs que là où nous étions, tous les enjeux étaient présents. Nous avions un droit absolu de regard, à partir d'ici, comme l'enseignait l'imaginaire d'Andrieu. Le monde entier était notre habitacle, le cosmos obéissait à des lois dont nous avions pris moralement possession, nous plaçant en position d'avant-garde. Mieux, en position critique par rapport à la grande solitude existentialiste qui triomphait à Paris.

Le groupe s'est dispersé, mais il n'a cessé d'être lié par l'esprit. – Je me suis personnellement investi, à partir de 1947 dans l'action de l'Institut d'Etudes Occitanes, pensant qu'il représentait la force principale et l'axe du combat décentralisateur. En 1953, j'ai commencé d'appliquer à Montauban les principes d'action élaborés au sein du mouvement occitan : ciné-club (1953), exposition d'arts plastiques (1954) émigrée au Larzac en 1969, colloque poétique (1957), Festival (1957), Centre scientifique du Baroque (1963), et enfin dans les années 80, Assises de la Décentralisation (ADN) et Carrefour d'Occitanie.

 

II – Quelle est votre définition de la culture ?

La culture est l'expression pluridisciplinaire d'un état de crise, d'origine inséparablement sociale et personnelle, auquel elle propose des solutions de nature symbolique, constituant le champ d'une temporalité spécifique.

 

III – Quel est pour vous l'événement culturel majeur en Tarn-et-Garonne

Je ne pense pas qu'il y ait un événement majeur. Il y a, comme partout, un ensemble d'événements culturels qu'il faut juger selon les critères d'une authentique Décentralisation. La lourde moulinette française tend à éliminer toute créativité qui n'émane pas du Centre, ou qui n'en est pas le reflet. Une action culturelle digne de ce nom ne peut donc que dire ce drame national, et rétablir l'identité des villes et des cultures. Pour vaincre le Centralisme, elle en contestera les orientations : elle sera jugée à sa capacité de résister, et d'intervenir sur le chantier historique des nations, dans les confrontations de l'époque.

 

IV – Que peut-on faire pour développer encore l'activité locale ?

Rendre son identité à une ville, c'est travailler à la fois sur deux pôles : créer des événements qui tirent parti de l'être de la ville, de ses héritages matériels et spirituels bien compris en termes critiques, et lui confèrent un statut contemporain… Penser en outre une équation qu'on qualifiera d'« écologique » unissant le local à l'universel, au sens non politique, mais philosophique, et faire entrer la ville dans le champ de la culture comme protagoniste de l'avenir, sous des formes à réinventer constamment.

Novembre 2000