Association des éditions Cocagne MAISON DE LA MÉMOIRE & DES ÉCRITURES

Olympe de Gouges Maintenant

OLYMPE DE GOUGES MAINTENANT

(Par Félix-Marcel Castan)

Pour la première fois, je parle à ma propre ville – après Montpellier, Béziers, Carmaux, Aurillac, Tarbes, les festivals de Saint-Hippolyte-du-Fort et d'Uzeste-Musical… Montauban, non : je m'adresse à la jeunesse pour qu'elle découvre Olympe de Gouges, « visage éclairé » de notre ville. Cinquante ans, jour pour jour ce 29 avril, qu'en France les femmes ont déposé leur premier bulletin de vote dans l'urne. Résultat d'un combat de deux longs siècles, dont Olympe a donné le signal. Mais gagner une bataille n'est pas gagner la guerre, – et la lutte continue. L'humanité vraie sortira, comme Vénus des flots de la mer, de l'accession définitive de la femme à un dialogue équilibré avec son partenaire, endormi dans un mutisme ancestral. La voix d'Olympe est capable de réveiller tous les endormis de la terre. Le « tocsin de la raison », dit-elle. Ce tocsin résonne encore très fort contre les racismes… La communauté noire lui rend hommage : Olympe a été l'ennemie la plus intransigeante de l'esclavage colonial, parfois au péril de sa vie. Les Révolutionnaires de son temps étaient à la recherche d'une nation réglée comme les rouages d'un moulin, sans hasard, d'un ordre politique immuable, refermé sur ses lois et ses obsessions unitaires… Or Olympe explique qu'une société évolue, change à l'initiative de ses citoyens indociles, les plus jeunes, qui contestent pour inventer du neuf. À l'opposé de Condorcet même, qui n'était pas étranger au devenir des lois et de la civilisation, de Sieyès et de Grégoire surtout, elle imagine une nation se renouvelant constamment, grande œuvre permanente de la diversité de ses peuples, du dialogue infini des citoyens. Féministe et antiraciste, militante de la cause des enfants, elle veut que la nation soit l'instrument de toutes les justices, la solution de toutes les contradictions, la garantie contre toutes les exclusions. Une nation vouée à l'autocritique, au rajeunissement continu, pour harmoniser, élever les idéaux des hommes et des femmes, abolir les honteuses disparités, les dysfonctionnements et les crimes officiels. Elle demandait l'abolition de la peine de mort, elle qui devait monter à l'échafaud. Elle demandait du travail pour tous ; la création de maternités décentes ; la suppression des contraintes par corps… Ces programmes concrets soutiennent de bout en bout son œuvre théâtrale, son œuvre philosophique et ses interventions circonstancielles de pamphlétaire. Personne n'a conçu plus haute fonction de redresseur de torts, au service des individus. Rien de plus sacré, que l'aptitude de chacun au bonheur… Héroïne nationale, Olympe de Gouges est digne du Panthéon, où veulent l'introduire les mouvements féministes et les universitaires du récent Colloque international, tenu à Montauban… Contre toutes les clôtures, deux grands précurseurs avaient montré le chemin, La Boétie au XVIe siècle,

Montesquieu au début du XVIIIe. Malheureusement l'abbé Grégoire, enragé de rigorisme intellectuel, eut beaucoup de disciples, conscients ou non, au XIXe et au XXe : un invraisemblable unitarisme a triomphé, une autre nation, dans laquelle nous ne nous reconnaissons pas ! Réhabiliter Olympe de Gouges dans sa grandeur d'écrivain, dans son art, dans sa philosophie, n'a pas seulement des justifications historiques : nous travaillons au futur, à la transformation du vieil ordre hiérarchique – Nous appelons nos concitoyens à ressaisir en Olympe la figure emblématique d'une nouvelle citoyenneté, de leur propre citoyenneté conquérante. Le concept opératoire d'Occitanie est né ici, il y a un siècle : couronnement d'une Renaissance littéraire…

Le poète et théoricien Antonin Perbosc, notre compatriote, par ce coup d'audace inouï, substituait une ambition pleine et délibérée au bricolage félibréen. Perbosc enseigne tout au long de son œuvre…

… qu'es pas en gàbia que se diu enclaure res de çò que viu.
… que ce n'est pas en cage que l'on doit enfermer rien de ce qui vit.

L'Occitanie échappe aux normes du Centralisme français. Elle défie les contraintes, les grilles, le quadrillage régional et départemental, les stéréotypes et les codes ! L'Occitanie propose une France culturellement bipolaire… Montauban, comme Olympe, use d'un langage de raison. Nous parlons de ce qui bouge, cherche à s'épanouir, comme une plante à l'air libre. Montauban s'est toujours pensée dans un présent rebelle, depuis sa fondation en plein XIIe siècle, au temps des Troubadours.

Toutes les villes, sans exception, recèlent dans leur histoire et expriment grâce aux personnalités emblématiques qu'elles ont données à la culture universelle, des valeurs qui leur appartiennent, qui marquent leur visage, autour desquelles se noue leur identité, leur âme. À quoi servent les concerts de la Linha Imaginòt, sinon à rallumer la conscience de chaque ville, à relever sa dignité, à la rappeler à son destin de ville, à son authentique originalité ? Olympe de Gouges, c'est l'identité nationale en marche : Perbosc, l'identité culturelle en marche. Contre l'enfermement. Mais on navigue entre deux écueils, Charybde et Scylla :

CHARYBDE, le populisme, où se dissout la notion de ville.
SCYLLA, le nombrilisme, quand l'identité de la ville implose.

Heureux les navigateurs dépourvus d'ambitions, qui gardent les yeux fixés sur l'étoile polaire, je veux dire attentifs à l'ordre du monde, dont ils sont les humbles explorateurs. L'action entreprise à Montauban, sur des principes d'ouverture, il y a plus de quarante ans, a abordé le cinéma, les arts plastiques, la poésie, le théâtre (citons la trilogie montalbanaise, trilogie décentralisatrice d'André Benedetto), un peu la chorégraphie et la musique, enfin la science du Baroque, cette civilisation de la pluralité… Chaque domaine a son histoire, ses méthodes : chaque discipline implique une structure spécifique et autonome.

La référence, dès l'origine, fut un peintre, le « mendiant » de Saint Maffre, qui n'a jamais cessé de se renouveler, s'emparant avec une prodigieuse allégresse, de toutes les inventions de son siècle. Lucien Andrieu, le maître de notre jeunesse, s'appropria en artisan l'art international, dont Paris était le centre : c'était pour le dépasser, le transgresser dans une vision totalisante et structurante de l'univers, où se concilient les formes de l'esprit et le grain de la réalité, liant l'unité du divers… Homme de la périphérie libérée. Dans la postérité de Cézanne. Frère jumeau du sculpteur d'origine roumaine, Brancusi, qu'on montre actuellement à Beaubourg, et du compositeur occitan Déodat de Séverac. Montauban, portée par l'expérience du mouvement occitan lui-même, sous le regard d'Olympe, de Perbosc, d'Andrieu, de bien d'autres, ville neuve, ville des transgressions calculées, met son demi-siècle d'expérience pluridisciplinaire à la disposition des musiciens-intervenants d'une Linha Imaginòt rassemblée.

11 avril 1995 – CARNET DE ROUTE N°3 Cocagne éditions – 5€